«Tout fœtus né sans vie à la suite d’un accouchement (peut) être inscrit sur les registres de décès de l’état-civil, quel que soit son niveau de développement», a jugé mercredi la Cour de cassation, dans trois arrêts concernant des parents endeuillés suite à un décès durant la grossesse.
Depuis plusieurs années, des associations demandent que soit comblé le vide juridique qui existe en France pour les foetus de 16 à 22 semaines nés sans vie après une mort in utero ou une interruption médicale de grossesse. Les arrêts de principe rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation revêtent donc une grande importance.
En obtenant le droit d’inscrire leur bébé sur les registres de l’état-civil, les parents obtiennent du même coup la possibilité de donner un prénom à leur enfant, de bénéficier de certains droits sociaux comme le droit au congé maternité, ou encore celui de récupérer son corps afin d’organiser ses obsèques et de faire leur deuil. Actuellement, dans la plupart des hôpitaux, les foetus de moins de 22 semaines sont encore incinérés avec les déchets du bloc opératoire.
«Déclaration d’enfant sans vie»
L’affaire jugée mercredi concerne trois familles. Les parents de trois enfants morts-nés entre 1996 et 2001 avaient porté l’affaire en justice après s’être vus refuser la possibilité d’enregistrer leur enfant à l’état-civil. Jusqu’à présent, les enfants dont un médecin pouvait attester qu’ils avaient vécu au moins quelques instants se voyaient dresser un acte de naissance, ainsi qu’un acte de décès.
Les autres, morts-nés, ne pouvaient bénéficier, depuis 1993, que d’une «déclaration d’enfant sans vie» et ce seulement s’ils répondaient à la définition d’enfant viable donnée en 1977 par l’Organisation mondiale de la Santé, soit un poids de plus de 500 grammes ou une grossesse de plus de 22 semaines. Or les trois foetus concernés avaient entre 18 et 21 semaines et pesaient entre 155 et 400 grammes.
Saisi des trois dossiers, un tribunal de grande instance avait donc débouté les familles. En mai 2005, la cour d’appel de Nîmes avait confirmé les jugements. Mercredi, la Cour de cassation a jugé, dans trois arrêts identiques, que la cour d’appel avait violé l’article 79-1 du code civil, car il «ne subordonne pas l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du foetus, ni à la durée de la grossesse». Selon elle, la cour d’appel a tout bonnement «ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoit pas».
«Risque d’anarchie»
Avec sa décision, la Cour de cassation décide de bousculer le législateur (députés et sénateurs). Dans ses conclusions, l’avocat général Alain Legoux avait d’ailleurs rappelé que «ce n’est pas à (la jurisprudence) de fixer la norme mais à la loi». Or, avait-il suggéré à la Cour, «quelle meilleure façon d’y inciter le législateur» que de casser les trois arrêts, cela «permettra au législateur de faire œuvre d’harmonisation».
D’un grand réconfort pour les familles, ces arrêts «risquent de provoquer une grande anarchie», souligne toutefois une source judiciaire. On peut en effet imaginer que des mères qui décident d’interrompre volontairement leur grossesse après quatre semaines profitent de la nouvelle donne pour déclarer leur enfant et ainsi bénéficier des avantages sociaux qui y sont liés.
L’Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) a qualifié jeudi de «dérapage juridique» cette décision qui «va donner un argument» aux opposants à l’avortement. «Je respecte la détresse des parents, je les accompagne tous les jours», a déclaré Chantal Birman, vice-présidente de l’ANCIC. «Je ne peux qu’adhérer à leur demande de respect du deuil, d’avoir le droit d’enterrer l’enfant, la société ne fait pas ce qu’il faut, mais l’inscription sur le livret de famille est un scandale», notamment, dit-elle, parce qu’un foetus «n’est pas viable avant 26 semaines». «On ne reconnaît pas les temps de la grossesse, c’est du négationnisme, ajoute-t-elle, et c’est lourd de conséquences pour les femmes».
En revanche, il ne devrait pas avoir d’impact sur le volet pénal, la Cour de cassation ayant déjà écarté dans d’autres arrêts l’incrimination d’homicide dans le cas de décès in utero du fait d’un accident de circulation ou d’un accident médical.
Médiateur de la République
Le début de polémique suscité par cette décision a poussé le médiateur de la République à se saisir question en appelant le Parlement à «définir très clairement» la notion de viabilité, pour la fixer clairement à 22 semaines de grossesse.
«Aujourd’hui, la notion de viabilité dépend de l’appréciation du médecin. Il faut que le politique définisse très clairement, à partir des critères de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ce qu’est la notion de viabilité», a expliqué le Médiateur, Jean-Paul Delevoye. Les principaux critères retenus par l’OMS sont que le fœtus ait 22 semaines et qu’il pèse au moins 500 grammes. Ces critères ont été retenus en France par une circulaire de 2001, mais celle-ci n’a pas de force juridique, ce que la Cour de cassation a fait valoir dans son arrêt. «Je demande simplement à ce qu’on prenne cette circulaire et qu’on lui donne une force juridique», a ajouté le Médiateur.
Le dossier juridique est cependant complexe puisqu’il a des incidences sur d’autres législations, comme celles de la retraite (une femme peut partir plus tôt lorsqu’elle a eu des enfants) ou des allocations familiales. Selon la loi, un enfant en gestation est qualifié d’embryon durant les trois premiers mois de grossesse, puis de foetus.