Réconciliés depuis une série de couvertures offertes à l’ex-chanteur des Smiths pour la sortie de Ringleader of Tormentors, son dernier album en date, Morrissey et le NME sont à nouveau fâchés. L’affaire fait les gros titres de toute la presse britannique et a figuré en bonne place ces derniers jours dans les tabloïds comme dans les plus sérieux Guardian, the Independent ou le Daily Mail. Le chanteur n’avait plus déclenché pareille controverse depuis la fameuse couverture du Finsbury Park de 1992 où, après un concert de charité, on l’avait accusé de s’être enveloppé dans un drapeau britannique et de frayer de plus en plus dangereusement avec l’imagerie ultranationaliste. L’objet du délit, cette fois, et qui s’ajoute, pour ceux qui ont suivi les précédents épisodes, aux diverses polémiques soulevées dans les années 80 et 90, autour de titres comme « Asian Rut », « Bengali in Platforms » (il chantait alors « Bengali, Bengali, shelve your Western plans / Life is hard enough when you belong here » Indiens, indiens, remisez au placard vos plans vers l’Ouest / la vie est suffisamment difficile quand on est d’ici) ou « National Front Disco », est une interview donnée à un pigiste du journal pendant laquelle Morrissey aurait tenté d’expliquer pourquoi il ne se sentait plus prêt à vivre en Angleterre. Son imagerie homoérotique à base de boxeurs, de jeunes gars blancs et loubards, son goût pour le thé et l’eau de la Tamise, ses références historiques ont toujours fait du Moz un client parfait pour de telles accusations mais le procès à charge n’est pas sans fondement cette fois.
Le roi des taupes aurait ainsi exposé : « L’Angleterre est juste un souvenir. Les barrages ont cédé et n’importe qui peut avoir accès au pays et s’y installer… Bien que n’ayant rien contre les gens d’autres pays, je constate que plus leur présence est forte, plus l’identité britannique disparaît. Le prix est ainsi énorme. Lorsque tu voyages en Anglerre, tu ne sais plus où tu te trouves. Cela a son importance car l’identité britannique est très forte et reste séduisante. J’ai grandi avec une certaine idée de la culture britannique et je l’ai toujours trouvé subtile et amusante. D’autres pays ont su conserver leur identité. Il me semble bien qu’en Angleterre, on l’ait bazardée. » (traduction maison), "On ne peut pas dire, « entre dans ma maison, assieds-toi sur le lit, prends tout ce que tu veux de cette façon. Ca ne marcherait pas. »
La lecture complète de la transcription audio disponible depuis le site http://www.morrissey-solo.com/ peut au choix alourdir le dossier (Morrissey parle de l’Allemagne comme d’un pays où l’on n’a pas trop dilué la culture originelle…) ou considérablement l’alléger. Le journaliste du NME a, en effet, choisi d’élaguer des passages moins typés où le chanteur discute de la perte des valeurs d’Albion, sur un ton beaucoup plus subtil que les arguments retenus dans le magazine. Morrissey explique que la vie à Londres est devenue difficile pour tout un chacun à cause du coût de la vie, de la politique, du prix des loyers, de la tristesse ambiante. Il se demande alors dans une interrogation assez commune chez lui et qu’on trouve aussi chez d’autres « popeux » britanniques (Ian Mc Culloch en tête) ou écrivains (Self, Moorcock, Moore, Priest) comment la culture britannique peut « résister » et « subsister » face au multiculturalisme. Cette question qui a des senteurs nauséabondes se justifie dans le contexte insulaire à la fois par la vigueur du lien entre le rock et le « terroir » urbain, mais aussi par la connexion entre la nation (l’Englishness de… Sting) et le format chanson qui est celui de la pop… anglaise. L’inquiétude de Morrissey « partagée par la plupart des gens », disent ses défenseurs, repose moins sur une méfiance vis-à-vis de l’étranger que sur la peur de sa propre disparition, peur elle-même au coeur de l’Englishness précitée et qui est, en soi, un thème quasi institutionnel des artistes du cru, source de mélancolie et de rêverie nostalgique qu’on peut retrouver chez à peu près tous les Anglais depuis le XVIIIème siècle (Burton, Wilde), et notamment chez les Anglais d’adoption (irlandais, etc). Entre la défense de l’identité et la xénophobie, entre la peur de disparaître et la méfiance vis-à-vis de l’étranger, la distance est mince mais Morrissey n’a jamais franchi le pas. Les textes de ses chansons incriminées ont toujours relevé d’une analyse plutôt mesurée et d’un réel travail d’écriture. La séduction pour l’appareil nationaliste reste, quant à elle, liée aux rapports étroits entre la culture ouvrière, la castagne et le conservatisme.
La polémique continue d’enfler sur le web et dans la presse, Morrissey ayant fait sonner la charge par son manageur et réclamé des excuses du NME. Pas d’excuses en vue pour le moment mais des chiffres de vente qui s’envolent. Pas maladroit généralement pour générer le débat (on se souvient de ses déclarations sur Thatcher), Morrissey semble quelque peu débordé par l’événement cette fois, mais continue de dénoncer le lynchage. Le NME aurait-il voulu se payer un pic de ventes avec son meilleur soldat ? Pourquoi risquer de saborder un travail de plus de dix ans de réconciliation d’une manière aussi peu subtile ? N’est-ce pas le débat lui-même sur l’Englishness qui génère la polémique ? Bizarre. Le reste de l’interview est, quant à lui, plutôt amusant avec des saillies sur les groupes d’aujourd’hui et quelques considérations sur la musique.
Sur le plan musical, gageons que l’épisode devrait renforcer Morrissey dans sa ligne victimaire et sa paranoïa anti-médias. De là, à ce qu’on se retrouve avec un album entier composé de titres revanchards à la Sorrow Will Come in the End ou You Know I couldnt Last, il n’y a qu’un pas…
En attendant, Morrissey et sa caravane rockab débarquent toujours à Clermont Ferrand le 16 janvier, Strasbourg le 18 et Lille le 19, avant de rejoindre Paris pour un Olympia prévu le 4 février.