Sur ça, ils ont la classe les ritals quand même : (libé
Monde
La Calabre enterre ses morts, pas la vendetta
Six membres de la mafia avaient été tués le 15 août à Duisbourg, en Allemagne.
Par Eric Jozsef
QUOTIDIEN : vendredi 24 août 2007
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Le cortège funéraire devait emprunter la route sinueuse qui mène à l’église Santa Maria della Pietà, en haut du village, à flanc de montagne, passant devant les habitations des défunts, de leurs probables assassins et sans doute des futures cibles. Hier, San Luca attendait le retour d’Allemagne des cercueils de trois des six victimes du massacre de Duisbourg, le 15 août. Avec appréhension. Dans les petites rues de ce bourg de 4 700 âmes aux maisons aux façades souvent délabrées, au pied de l’Aspromonte, chacun s’emploie à afficher sa sérénité. «On ne sait pas très bien ce qu’il s’est passé», esquivent les vieux dans les cafés. Mais tout le monde craint la poursuite de la vendetta entre les clans Nirta et Vottari qui ensanglante depuis des années ce bastion de la N’Drangheta, la sanguinaire mafia calabraise.
Sinistre jeu. Ce nouveau cycle d’assassinats et de représailles intrigue les enquêteurs. Les deux familles semblaient avoir conclu une pax mafiosa. Entre les Nirta et les Vottari, les cadavres de 1991 durant le carnaval semblaient en effet oubliés. A l’époque, il avait suffi que quelques jeunes du clan Nirta jettent des œufs sur une voiture et que les adolescents de la famille adverse s’en mêlent pour que les hostilités - qui feront une dizaine de morts - soient déclarées. «La guerre a réellement éclaté à la suite d’une blague qui a mal tourné. L’honneur était en jeu. Mais l’affrontement pour le contrôle d’activités lucratives couvait depuis longtemps», indique un responsable des forces de l’ordre. Le sinistre jeu des représailles va durer deux ans jusqu’au 1er mai 1993, lorsque quatre hommes sont exécutés en un jour. Les chefs des différentes familles de San Luca (une dizaine) décident alors d’intervenir pour imposer un cessez-le-feu. Devenue, en une trentaine d’années, l’une des mafias les plus puissantes du monde, passant notamment de l’industrie du rapt à celle des stupéfiants, la N’Drangheta ne souhaitait pas que le conflit perdure, attirant l’attention des policiers. Dans le village où tout le monde se connaît, où les maisons des Nirta et de leurs alliés Strangio côtoient parfois celles des Vottari, des Pelle et des Romeo, les adversaires d’hier avaient ainsi fini par se croiser sans se défier les armes à la main.
Commando. «A nouveau, nous ne sommes plus en paix depuis Noël» déplore Don Pino, le curé de San Luca. A l’improviste, la guerre a repris. Le 25 décembre, Giovanni Luca Nirta, le chef présumé du clan, son frère, son neveu et sa femme rentrent chez eux à pied. Devant leur domicile, un commando de tueurs les attend. L’épouse du chef est abattue. Le neveu, grièvement blessé. Pour la première fois, une femme et un enfant ont été visés, qui plus est sur le territoire même de San Luca. L’impitoyable machine de la vendetta se met en branle : quatre assassinats de janvier à début août, dont trois membres du groupe Vottari. La chasse à l’homme est implacable. Partout dans le monde, la N’Drangheta est redoutée pour sa férocité et sa détermination. Les cibles potentielles quittent le village. Selon les enquêteurs, Marco Marmo, l’une des six victimes de Duisbourg, était également en ligne de mire. Est-ce pour cette raison qu’il se trouvait le 15 août, loin de San Luca ? Quoi qu’il en soit, «depuis le début de l’année, 80 % des morts appartiennent au groupe Vottari. Ils sont affaiblis militairement et certaines familles alliées semblent vouloir prendre leurs distances, note le journaliste du Quotidiano della Calabria, Pino Lombardo. Ils vont donc devoir réagir pour éviter d’être marginalisés dans les affaires.» Notamment dans le trafic de cocaïne complètement dominé par les clans calabrais.
Madonna dei Polsi. A la veille des obsèques de son fils et de son frère, tués à Duisbourg, Francesca Giorgi a lancé un appel public. Invoquant Dieu et le «nécessaire pardon», cette mère «au chômage» reçoit dans un modeste salon aux côtés de son mari garde champêtre pour clamer «l’innocence» de son fils et implorer qu’il n’y ait pas de nouvelles représailles entre les membres des deux clans qui seraient au total au nombre de 70. « On dit que la prochaine date à risque est le 2 septembre, fête de la Madonna dei Polsi», a toutefois averti dans la presse Giovanni Luca Nirta, qui affirme passer son temps « à cultiver son potager». Pour la N’Drangheta, le jour est symbolique. C’était autrefois l’occasion pour tous les chefs de Calabre de se retrouver dans le sanctuaire religieux de la Vierge, dans la montagne, à l’abri des regards, sur les hauteurs de San Luca.