Sterling Gardens, lotissement en cul-de-sac plutôt pimpant constitué de petites maisons de brique rouge mitoyennes, est agréable au prime abord. Or, dimanche 29 juin, un studio du rez-de-chaussée de l’un de ces petits immeubles a été transformé en théâtre d’horreur. Laurent Bonomo et Gabriel Ferez, deux Français âgés de 23 ans, ligotés et bâillonnés, ont été longuement torturés et poignardés à mort avant que l’appartement ne soit mis à feu.
« Un assassinat brutal, déchaîné et horrible », a déclaré Scotland Yard lors d’une conférence de presse, jeudi 3 juillet, pour annoncer le martyre des deux étudiants de l’école d’ingénieurs Polytech’ de Clermont-Ferrand en stage à l’Imperial College. Le diagnostic du médecin légiste n’a rien à envier à Orange mécanique : le premier aurait reçu 196 coups de couteau, le second 47.
Un voisin du premier étage, Andrew, informaticien de 32 ans, se souvient « d’une terrible explosion suivie de flammes et d’une fumée épaisse envahissant l’appartement ». « Je n’ai rien entendu de particulier en début de soirée, ajoute ce voisin. Lundi à six heures du matin, j’ai été réveillé par la police qui m’a dit qu’il y avait eu un assassinat, que les murs avaient été aspergés d’essence. Je leur ai dit que je ne connaissais pas les jeunes Français. Les étudiants ne restent jamais longtemps ici. »
Laurent Bonomo avait loué le studio dans le quartier de New Cross, au sud-est de la capitale, très recherché par les jeunes en raison des moyens de transport desservant le centre-ville et du coût peu élevé des loyers. Gabriel Ferez était venu le rejoindre pour disputer des parties de jeux vidéo et regarder la finale de l’Euro 2008.
SCÉNARIO « À LA TARANTINO »
« C’est plutôt tranquille, à l’exception d’actes de vandalisme de temps en temps venus de là-haut », souligne une habitante en pointant du doigt la cité HLM qui surplombe Sterling Gardens. L’appartement de Laurent Bonomo avait été cambriolé le 23 juin et son ordinateur portable volé.
Au stade actuel de l’enquête, cet assassinat reste un puzzle confus, un écheveau obscur d’indices, une énigme à plusieurs inconnues. A l’exception d’un homme blanc qui a été vu fuyant les lieux, la police, dépourvue de piste, a lancé un appel à témoins. Laurent Bonomo connaissait-il son agresseur et l’a-t-il laissé entrer sans méfiance ? S’agit-il d’un cambriolage qui a mal tourné ou d’une méprise ? Les policiers soulignent que le parcours londonien, professionnel ou privé, de ces deux étudiants brillants, spécialistes de l’ADN, apparaît sans histoire.
Tout avait commencé le 1er mai pour ces deux jeunes qui avaient décroché un stage de trois mois à l’Imperial College, le nec plus ultra de la recherche, pépinière de Prix Nobel et de découvertes qui ont changé la face du monde. Situés à South Kensington, l’un des meilleurs quartiers, les bâtiments de verre et d’acier de ce campus cinq étoiles dégagent une impression de force tranquille.
« La plupart des étudiants logent loin d’ici car ce quartier est hors de prix. Il n’y a que les étudiants chinois pour pouvoir se payer un appartement ici », explique Nathalie, étudiante en chimie, assise sur le gazon du Queen’s Lawn, le coeur de l’établissement. Se loger à Londres est un véritable parcours du combattant pour les dizaines de milliers de jeunes Français qui affluent pour étudier ou trouver un emploi. A South Kensington, point d’ancrage de la communauté française, la location d’un studio coûte au minimum 500 livres par semaine (630 euros). A New Cross, entre 110 et 140 livres. C’est un quartier populaire multiethnique mais qui n’a rien de commun avec les zones de Peckham ou de Brixton, jungles urbaines ravagées par la drogue et les gangs.
L’Angleterre est en état de choc après ce fait divers digne d’un scénario « à la Tarantino », comme l’écrit l’Evening Standard en faisant allusion au réalisateur américain de Pulp Fiction. L’assassinat des deux Français porte en effet à dix-neuf le nombre de jeunes morts poignardés à Londres au cours des six derniers mois.